Le plan cadastral est un outil formidable pour la connaissance du territoire et le recensement des quelque cent millions de parcelles du territoire français. Néanmoins, on lui prête souvent un rôle qui n’est pas le sien, en l’occurrence celui de définir les limites de propriété.
Le rôle du cadastre
Le rôle du cadastre est essentiellement fiscal: Il sert de base au calcul des impôts fonciers, et “les informations qu’il procure aux usagers constituent pour eux de simples renseignements qu’il leur appartient de vérifier s’ils entendent en faire un élément essentiel de leur décision”1.
Lors du congrès national des géomètres-experts à Bordeaux en 1984, un directeur divisionnaire du cadastre le rappelait: “la base originelle du cadastre est fiscale”, et l’on “ne saurait lui demander des garanties juridiques qu’il n’a pas pour mission d’assurer, que ce soit sur la position réelle des limites ou sur la superficie des parcelles”.
En réalité, dès 1976, le ministère des finances (ministère de tutelle du cadastre) indiquait que “l’administration ne peut donner l‘assurance formelle que les limites figurant sur le plan cadastral correspondent véritablement au droit de propriété“2.
Un peu plus tard, en 1979, le même ministère précisait que la rénovation cadastrale ne donnait pas plus d’assise aux données du plan: “Les opérations de rénovation du cadastre effectuées en application de la loi du 16 avril 1930 et du décret du 30 avril 1955 n’ont pas pour objet de donner un fondement juridique aux droits réels dont se prévalent les personnes physiques ou morales, mais d’assurer, à des fins fiscales notamment, la délimitation physique3 des immeubles ainsi que leur identification et celle de leur propriétaire apparent.”.
Plus concrètement, les informations sur la superficie des parcelles, qui figurent dans votre acté notarié, ne sont qu’indicatives (sauf à ce que la parcelle ait fait l’objet d’un bornage complet, et que les documents de bornage aient été annexés à l’acte). En effet, “la responsabilité de l’État dans un éventuel préjudice subi du fait [d’une] contenance inexacte ne saurait cependant être engagée“1. De manière générale, si une superficie est exprimée en hectares, ares et centiares (par exemple, 1ha23a45ca plutôt que 12345m²), c’est un indice qu’il ne s’agit que d’une contenance cadastrale, non garantie.
En résumé, l’État ne peut pas engager sa responsabilité sur les données du cadastre. Mais qu’en disent les tribunaux?
la jurisprudence
La jurisprudence sur la question est abondante, et va encore plus loin: Le plan cadastral est “éminemment incertain” et “dépourvu de fiabilité”4. Les termes sont forts, mais la cour ne cherche pas ici à dénigrer le cadastre. Il s’agit plutôt de rappeler et de souligner que les conditions d’élaboration du plan cadastral en font un document fragile pour ce qui concerne la détermination des limites de propriété, et que d’autres éléments de preuve doivent lui être préférés.
La Cour administrative d’appel de Marseille a d’ailleurs rappelé que l’on “ne [saurait] se prévaloir du plan cadastral”, puisque “les relevés cadastraux n’ont qu’une vocation fiscale et ne peuvent prévaloir sur les relevés de bornage“.5
En définitive, la jurisprudence ne reconnaît au cadastre que la valeur d’une “simple présomption”6. C’est donc une présomption, certes, mais qui peut être renversée par tout moyen de preuve.
Néanmoins, l’outil en lui-même fonctionne très bien, et reste indispensable dans le cadre des missions qu’il assume réellement. D’ailleurs, il a inspiré et continue d’inspirer nombre d’autres pays dans la confection de leur propre cadastre.
1 Réponse de la Direction Générale des Impôts sur la responsabilité de l’État du 30 août 1974
2 Réponse ministérielle lors d’un débat à l’Assemblée nationale en mai 1976
3 Ici, il faut entendre “délimitation physique” au sens de l’identification des limites apparentes.
4 Cour d’Appel de Bourges, 28 janvier 1997
5 Cour Administrative d’Appel de Marseille, 17/10/2007, 02MA01629, Inédit
6 Voir par exemple Cour de Cassation, 7 novembre 1972, 71-11.720, Publié au bulletin
Sources:
– MAZUYER, F. & RIGAUD, P., Le bornage entre résolution et prévention des conflits, PUBLI-TOPEX, 2011.